« On ne connaît pas de société organisée qui n’ait sa zone de sacralité », répète Régis Debray. Cette sacralité imprègne notre interprétation du monde en s’accrochant à tel ou tel domaine, migrant du religieux au politique ou à l’esthétique (et vice versa parfois), magnifiant tour à tour une valeur ou une autre, se concrétisant dans des rituels ou dans leur transgression, se traduisant par des manifestations collectives ou par une ascèse intérieure. Le sacré, dans sa dimension anthropologique la plus large comme dans ses formes culturelles particulières, alimente l’imaginaire de toute société et, comme tel, constitue un ferment de l’expression artistique et littéraire. Les textes ici réunis font dialoguer des oeuvres poétiques et romanesques, théâtrales, iconiques et plastiques, tirées des cultures arabe et européenne, de façon à questionner en résonance leurs interprétations du sacré et les formes qu’elles lui donnent.
Où l’on voit que les écrits sacrés (la Bible et ses prolongements chrétiens et islamiques, mais aussi les mythes de la Grèce antique) continuent à inspirer mises en récits et mises en scène qui les transforment et les revivifient à l’infini. Que la quête poétique, recherche verbale et activité symbolique, reste soeur des aspirations mystiques intimes et/ou cosmiques. Que la figuration iconique et plastique, en particulier celle du corps humain, garde trace d’une transcendance liée à la conscience de sa finitude. Que l’activité théâtrale n’a rompu ni avec ses racines dionysiaques ni avec ses origines funéraires. Que cette production imaginante est toujours accompagnée de discours réflexifs qui la relativisent et la balisent, dénonçant les dérives possibles (ou tristement actualisées) et maintenant le cap d’une compréhension tolérante, plus que jamais indispensable.